mercredi 25 février 2009

Le Grand Oeuvre

(Traduction de l'ancien français...)
"Le grand œuvre, c'est, avant toute chose, la
création de l'homme par lui-même, c'est-à-dire la
conquête pleine et entière qu'en fait de ses facultés et
de son avenir; c'est surtout l'émancipation parfaite
de sa volonté, qui lui assure l'empire universel de
l'Azot et le domaine de la Magnésie, c'est-à-dire
u.n plein pouvoir sur l'agent magique universel.
Cet agent magique, que les anciens philosophes
hermétiques ont déguisé sous le nom de matière
-première, détermine dés formes de la substance
modifiable, et l'on peut réellement arriver par son
moyen à ta transmutation métallique et à la médecine
universelle. Ceci n'est pas une hypothèse,
c'est un fait scientifique déjà éprouvé et rigoureusement
démontrable.
Nicolas Flamel et Raymond Lui le, pauvres tous
deux, ont évidemment distribué des richesses immenses.
Agrippa n'est jamais arrivé qu'à la première
partie du grand œuvre, et il est mort à la
peine, luttant pour se posséder uniquement lui même
et fixer son indépendance.
Il y a donc deux opérations hermétiques l'une
spirituelle, l'autre matérielle, et qui dépendent
l'une de l'autre.
Toute la science hermétique est d'ailleurs contenue
dans le dogme d'Hermès gravé primitivement,
dit-on, sur une table d'émeraude. Nous en
avons déjà explique les premiers articles; voici
ceux qui se rapportent à l'opération du grand
oeuvre
«Tusépareras la terre du feu, le subtil dé l'épais,
doucement, avec grande industrie.
Il monte de la terre au ciel, et derechef il descend
en terre, et il reçoit la force des choses supérieures
et inférieures. Tu auras par ce moyen la gloire de tout
le inonde et pour cela toute obcuritée s'enfuira
de toi. C'est la force forte de toute force, car elle
vaincra toute chose subtile et pénétrera toute chose
solide. Ainsi le monde a été créé. »
Séparer le subtil de l'épais, dans la première opération,
qui est tout intérieure, c'est affranchir son
âme de tout préjugé et de tout vice ce qui se fait
par l'usage du sel philosophique, c'est-à-dire de la
sagesse; du mercure, c'est-à-dire-de l'habileté personnelle
et du travail puis enfin du soufre, qui
représente l'énergie vitale et la chaleur dela volonté.
On arrive par ce moyen à changer en or spirituel
les choses même les moins précieuses, et jusqu'aux
immondices de la terre. C'est en ce sens qu'il faut
entendre les paraboles de la tourbe des philosophes,
de Bernard le Trévisan, de Basile Valentin,
de Marie l'égyptienne et des autres prophètes de
l'alchimie; mais dans leurs œuvres, comme dans
le grand œuvre, il faut séparer habilement le subtil
de l'épais, le mystique du positif, l'allégorie de
la théorie. Si on veut les lire avec plaisir et avec
intelligence, il faut d'abord les entendre allégoriquement
dans leur entier, puis descendre des allégories
aux réalités par la voie des correspondances
ou analogies indiquées dans le dogme unique:
Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas,
et réciproquement.
Le mot ART retourné, otHu à la manière des
écritures sacrées et primitives,c'est-à-dire de droite
à gauche, exprime, par trois initiales, les différents
degrés du grand œuvre. Signifie ternaire, théorie
et travail R, réalisation; A, adaptation. Nous donnerons,
au douzième chapitre du Rituel, les recettes
des grands maîtres pour l'adaptation, et spécialement
celle qui est contenue dans la forteresse hermétique
d'Henri Kbunrath.
Nous signalons ici aux recherches de nos lecteurs
un admirable traité attribué à Hermès Trismégiste,
et qui porte le titre de ~Merua mundi.
Ce traité se trouve seulement dans quelques éditions
d'Hermès, et contient, sous des allégories
pleines de poésie et de profondeur, le dogme de la
création des êtres par eux-mêmes, ou de la loi de
création qui résulte de l'accord de deux forces, de
celtes que les alchimistes appelaient le fixe et le
volatil, et qui sont, dans l'absolu, la nécessité et
la liberté. On y explique la diversité des formes
répandues dans la nature par la diversité des esprits,
et les monstruosités par la divergence des efforts.
La lecture et la méditation de cet ouvrage sont
indispensables à tous les adeptes qui veulent
approfondir les mystères de la nature et se livrer
sérieusement à la recherche du grand œuvre.
Quand les maîtres en alchimie disent qu'il faut
peu de temps et peu d'argent pour accomplir les
œuvres de la science, lorsqu'ils arment surtout
qu'un seul vase est nécessaire, lorsqu'ils parlent
du grand et unique athanor que tous peuvent
mettre en usage, qui est sous la main de tout le
monde et que les hommes possèdent sans le savoir,
ils font allusion à l'alchimie philosophique et morale.
En effet, une volonté forte et décidée peut
arriver en peu de temps à l'indépendance absolue,
et nous possédons tous l'instrument chimique, le
grand et unique athanor qui sert à séparer le subtil
de l'épais et le fixe du volatil. Cet instrument,
complet comme le monde, et précis comme lès
mathématiques elles-mêmes, est désigné par les
sages sous l'emblème du pentagramme ou de
l'étoile a cinq pointes, qui est le signe absolu
de l'intelligence humaine. J'imiterai les sages en ne les
nommant point il est trop facile de le deviner.,
La figure du Tarot qui correspond ace chapitre
a été mal comprise par Court de Gebelin et par
Eteilla, qui ont cru.y voir seulement une erreur
commise par un cartier allemand. Cette figuré
représente un homme, les mains liées derrière le
dos, deux sacs d'argent attachés aux aisselles, et
pendu par un pied à une potence composée troncs
d'arbre ayant chacun la racine de six
branches coupées et d'une traverse complétant la
figure du Tau hébreu n les jambes du patient sont,
croisées et ses coudes forment un triangle avec sa
tête. Or le triangle surmonté d'une croix signifie,
.en alchimie, la fin et la perfection du grand œuvre,
signification identique avec celle de la lettre n qui
est la dernière de l'alphabet sacré.
Ce pendu c'est donc l'adepte, lié par ses engagements,
spiritualisé ou les pieds tournés vers le ciel
c'est aussi l'antique Prométhée, subissant dans une
torture immortelle la peine de son glorieux larcin.
C'est vulgairement Judas le traître, et son supplice
menace les révélateurs du grand arcane. Enfin,
pour les cabalistes juifs, ce pep du, qui correspond
à leur douzième dogme, celui du Messie promis,
est une protestation contre le Sauveur reconnu
par les chrétiens, et ils semblent lui dire encore:
Comment sauverais-tu les autres, toi qui n'as pu
te sauver toi-même?2
Dans le Sepher-Toldos-Jeschu, compilation rabbinique
anti-chrétienne, on trouve une singulière
parabole Jeschu, dit le rabbin auteur de la légende,
voyageait avec Simon Barjona et Judas
l'Iscariote. Ils arrivèrent tard et fatigués à une de deux
maison isolée ils avaient très faim et ne trouvèrent
a manger qu'une jeune oie fort petite et très maigre.
C'était trop peu pour trois personnes; la partager
c'eût été aiguillonner seulement la faim sans la
satisfaire. Ils convinrent de la tirer au sort; mais,
comme iis tombaient de sommeil Allons dormir
d'abord, dit Jeschu, pendant qu'on préparera le
souper; a notre réveil nous nous raconterons nos
songes, et celui qui aura fait le plus beau rêve
mangera tout seul la petite oie. Ainsi fut fait. Ils
dorment et se réveillent. Moi, dit saint Pierre, j'ai
rêvé que j'étais le vicaire de Dieu. Moi,dit Jeschu,
que j'étais Dieu même. Et moi, reprit hypocritement
Judas, j'ai rêvé qu'étant somnambule je me
relevais, je descendais doucement, je retirais
l'oie de la broche et je la mangeais. Là-dessus on
descendit; mais l'oie avait effectivement disparu
Judas avait rêvé tout éveilla.
Cette légende est une protestation du positivisme
juif contre le mysticisme chrétien. En effet, pendant
que les croyants se livraient à de beaux rêves,
l'Israélite proscrit, le Judas de la civilisation chrétienne,
travaillait, vendait, agiotait, devenait riche,
s'emparait des réalités de la vie présente, et se
mettait en mesure de prêter des moyensd'existence
aux cultes mêmes qui l'avaient si longtemps proscrit.
Les anciens adorateurs de l'arche, restés
Ëdéles au culte du cofïre-fbrt, ont maintenant la
Bourse pour temple, et c'est de là qu'ils gouvernent
le monde chrétien. Judas peut, en effet, rire et se
féliciter de n'avoir pas dormi comme St-Pierre.
Dans les anciennes écritures antérieures à la captivité,
le Tau hébreu a la figure d'une croix, ce
qui confirme encore notre interprétation de la douzième
lame du Tarot cabalistique. La croix, génératrice
de quatre triangles, est aussi le-signe sacré
du Duo dénaire, et lesÉgyptiens l'appelaient, pour
cela même, la clé du ciel. Aussi Eteilla, embarrassé
dans ses longues recherches pour concilier
les nécessités analogiques de la figure avec son opinion
personnelle (il avait subi en cela l'influence
du savant Court de Gebelin), a-t-il placé dans la
main de son pendu redressé, dont il a fait la Prudence,
un caducée hermétique formé de deux serpents
et d'un Tau grec. Puisqu'il avait compris la
nécessité du Tau ou de la croix, à la douzième page
du livre de Thot,il aurait dû comprendre le multiple
et magnifique symbole du pendu 'hermétique,
le Prométhée de la science, l'homme vivant
qui ne touche la terre que par la pensée et dont la
base est au ciel, l'adepte libre et sacré, le révélateur
menacé de mort, L conjuration du judaïsme
contre le Christ, qui semble être un aveu involontaire
déjà divinité occulte du cruciné, le signe
enfin de ton œuvre accomplie, du cycle terminé, le
Tau intermédiaire, qui résume, une première fois,
avant le dernier denaire, les signes de l'alphabet
sacré."

Dogmes et rituels de haute Magie, Eliphas Lévi