mercredi 25 février 2009

Les Transmutations

" Saint Augustin doute sérieusement qu'Apulée
ait pu être changé en âne par une sorcière de
Thessalie. Des théologiens ont disserté longuement
sur la transmutation de Nabuchodonosor en bête
sauvage. Cela prouve simplement que l'éloquent
docteur d'Hippone ignorait les arcanes magiques,
et que les théologiens en question n'étaient pas
très avancés en exégèse. Nous avons à examiner,
dans ce chapitre, des merveilles bien autrement
incroyables, et incontestables pourtant. Je veux
parler de la lycanthropie ou de la transformation
nocturne des hommes en loups, si célèbre dans les
veillées de nos campagnes, par les histoires ~de
loups-garous; histoires si bien avérées, que, pour
les expliquer, la science incrédule a recours à des
manies furieuses et à des travestissements en animaux.
Mais de pareilles hypothèses sont puériles et n'expliquent rien.
Cherchons ailleurs le secret
des phénomènes observés à ce sujet, et constatons
d'abord:
->Que jamais personne n'a été tué par un loup-garou,
si ce n'est par suffocation, sans effusion de
sang et sans blessures
2°Que les loups-garous traqués, poursuivis,
blessés même, n'ont jamais été tués sur place.
3° Que tes personnes suspectes de ces transformations
ont été toujours retrouvées chez elles,
après la chasse au loup-garou, plus ou moins blessées,
quelquefois mourantes, mais toujours dans
leur forme naturelle.
Maintenant constatons des phénomènes d'un
autre ordre.
Rien au monde n'est mieux attesté et plus
incontestablement prouvé que la présence visible
et réelle du P. Alphonse de Liguori près du pape
agonisant, tandis que le même personnage était
observé chez lui, à une grande distance de Rome,
en prière et en extase.
La présence simultanée du missionnaire François
Xavier en plusieurs endroits à la fois n'a pas
été moins rigoureusement constatée.
On dira que ce sont là des miracles; nous répondrons
que les miracles, lorsqu'ils sont réels, sont
tout simplement des phénomènes pour la science.
Les apparitions de personnes qui nous sont
chères coïncidant avec le moment de leur mort
sont des phénomènes du même ordre et attribuables
à la même cause.
Nousavons parlé du corps sidéral qui est l'intermédiaire
entre l'âme et le corps matériel. Ce corps
reste éveillé souvent pendant que l'autre sommeille,
et se transporte avec la pensée dans tout
l'espace qu'ouvre devant lui l'aimantation universelle.
Il allonge ainsi sans la briser la chaîne sympathique
qui le retient attaché à notre coeur et à
notre cerveau, et c'est ce qui rend si dangereux le
réveil en sursaut pour les personnes qui rêvent.
En~enet, une commotion trop forte peut rompre
tout à coup la chaîne, et occasionner subitement
la mort.
La forme de notre corps sidéral est conforme à
l'état habituel de nos pensées, et modifie, à la
longue, les traits du corps matériel. C'est pour cela
que Swedenborg, dans ses intuitions somnambuliques,
voyait souvent des esprits en forme de
divers animaux.
Osons dire maintenant qu'un loup-garou n'est
autre chose que le corps sidéral d'un homme, dont
le loup représente les instincts sauvages et sanguinaires,
et qui, pendant que son fantôme se
promène ainsi dans les campagnes, dort péniblement
dans son lit et rêve qu'il est un véritable
loup.
Ce qui rend le loup-garou visible, c'est la surexcitation
presque somnambulique causée par la
frayeur chez ceux qui le voient, ou la disposition,
plus particulière aux personnes simples de la campagne,
de se mettre en communication directe
avec la lumière astrale, qui est le milieu commun
des visions et des songes. Les coups portés au loup-garou
blessent réellement la personne endormie
par congestion odique et sympathique de la lumière
astrale, par correspondance du corps immatériel
avec le corps matériel. Bien des personnes croiront
rêver eh lisant de pareilles choses,'et nous
demanderont si nous sommes bien éveillé; mais
nous prierons seulement les hommes de science de
réfléchir aux phénomènes de la grossesse et aux
influences de l'imagination des femmes sur la
forme de leur fruit. Une femme qui avait assisté
au supplice d'un homme qu'on rouait vif accoucha
d'un enfant dont tous les membres étaient rompus.
Qu'on nous explique comment l'impression produite
sur l'âme de la mère par un horrible spectacle
pouvait atteindre et briser les membres de
l'enfant, et nous expliquerons comment les coups
portés et reçus en rêve peuvent briser réellement et
blesser même grièvement le corps de celui qui les
reçoit en imagination, surtout quand son corps est
souffrant et soumis à des influences nerveuses et
magnétiques.
C'est accès phénomènes et aux lois occultes qui les
produisent qu'il faut rapporter les effets de l'envoûtement,
dont nous aurons à parler. Les obsessions
diaboliques, et la plupart des maladies nerveuses
qui affectent le cerveau, sont des blessures
faites à l'appareil nerveux par la lumière astrale
pervertie, c'est-à-dire absorbée ou projetée dans
des proportions anormales. Toutes les tensions
extraordinaires et extra-naturelle'! de la volonté
disposent aux obsessions et aux maladies nerveuses;
le célibat forcé, l'ascétisme, la haine, l'ambition,
l'amour repoussé, sont autant de principes générateurs
de formes et d'influences infernales. Parace)
se dit que le sang régulier des femmes engendre
des fantômes dans l'air les couvents, à ce point de
vue, seraient le séminaire des cauchemars, et l'on
pourrait comparer tes diables à ces têtes de l'hydre
de Lerne, qui renaissaient sans fin et se multipliaient
par le sang même de leurs blessures.
Les phénomènes de la possession des Ursulines
de Loudun, si fatale à Urbain Grandier, ont été
méconnus. Les religieuses étaient réellement possédées
d'hystérie et d'imitation fanatique des pensées
secrètes de leurs exorcistes, transmises à leur
système nerveux par la lumière astrale. Elles recevaient
l'impression de toutes les haines que ce
malheureux prêtre avait soulevées contre lui; et
cette communication tout intérieure leur paraissait
à elles-mêmes diabolique et miraculeuse. Ainsi
dans cette malheureuse affaire tout le monde était
de bonne foi, jusqu'à Laubardemont, qui, en exécutant
aveuglément les sentences préjugées par le
cardinal de Richelieu croyait accomplir en même
temps les devoirs d'un véritable juge, et se soupçonnait
d'autant moins lui-même d'être un valet
de Ponce-Pilate, qu'il lui était moins possible de
voir dans le curé, esprit fort et libertin, de Saint-
Pierre-du-Marché, un disciple du Christ et un
martyr.
La possession des religieuses de Louviers n'est
guère qu'une copie de celles de Loudun les diables
inventent peu et sont plagiaires les uns des
autres. Le procès de Gaufridi et de Magdeleine de
la Palud porte un caractère plus étrange. Ici ce
sont tes victimes qui s'accusent elles-mêmes. Gaufridi
se reconnaît coupable d'avoir ôté à plusieurs
femmes, par un simple soume dans les narines,
la liberté de se défendre contre tes séductions. Une
jeune et belle fille, de famille noble, insumée par
lui, raconte, dans tes plus grands détails, des scènes
où la lubricité le dispute au monstrueux et au
grotesque. Telles sont tes hallucinations ordinaires
de la fausse mysticité et du célibat mal conservé.
Gaufridi et sa maîtresse étaient obsédés par leurs
chimères réciproques, et la tête de l'un reflétait les
cauchemars de l'autre. Le marquis de Sade lui même
n'a-t-il pas été contagieux pour certaines
natures débilitées et malades?2
Le scandaleux procès du père Girard est une
nouvelle preuve des délires du mysticisme et des
singulières névralgies qu'il peut entraîner à sa
suite. Les évanouissements de la Cadière, ses
extases, ses stigmates, tout cela était aussi réel
que la débauche insensée et peut-être involontaire
de son directeur. Elle l'accusa lorsqu'il voulut se
retirer d'elle, et la conversion de cette fille fut une
vengeance, car rien .n'est cruel comme les amours
dépravés. Un corps puissant, qui était intervenu
dans le procès de Grandier pour perdre en lui le
sectaire possible, sauva le père Girard pour l'honneur
de la compagnie. Grandier et le père Girard
étaient d'ailleurs arrivés au même résultat par des
voies bien dmérentes, dont nous aurons spécialement
à nous occuper dans notre seizième chapitre.
Nous agissons par l'imagination sur les imaginations
des autres, par notre corps sidéral sur le
leur, et par nos organes sur leurs organes. En
sorte que, par la sympathie, soit d'attrait, soit
d'obsession nous nous possédons les uns les
autres et nous nous identifions à ceux sur lesquels
nous voulons agir. Ce sont les réactions contre cet
empire qui font succéder souvent aux sympathies
les plus vives l'antipathie la plus prononcée.
L'amour a pour tendance d'identifier les êtres;
or, en les identifiant souvent, il les rend rivaux,
et par conséquent ennemis, si le fond des deux
natures est une disposition insociable, comme serait
par exemple l'orgueil; saturer également d'orgueil
deux âmes unies, c'est les désunir en les rendant
rivales. L'antagonisme est le résultat nécessaire de
la pluralité des dieux.Lorsque nous rêvons d'une personne vivante,
c'est ou son corps sidéral qui se présente au nôtre
dans la lumière astrale, ou du moins le reflet de ce
même corps, et la manière dont nous sommes
impressionnés à sa rencontre nous révèle souvent
les dispositions secrètes de cette personne à notre
égard. L'amour, par exempte, façonne le corps
sidéral de l'un à l'image et à ta ressemblance de
l'autre, en sorte que te médium animi que deta
femme est comme un homme et celui de l'homme
comme une femme. C'est cet échange que lés cabalistes
ont voulu exprimer d'une manière occulte
lorsqu'ils disent, en expliquant un terme obscur
de la Genèse « Dieu a créé l'amour en mettant
une côte d'Adam dans la poitrine de la femme et
de la chair d'Ève dans la poitrine d'Adam, en sorte
que le fond du cœur de la femme est un os
d'homme et le fond du cœur de l'homme de la
chair de la femme » allégorie qui n'est certainement
pas sans profondeur et sans beauté.
Nous avons dit un mot dans le chapitre précédent
de ce que les maîtres en cabale appellent l'embryonnat
des âmes. Cet embryonnat, complet après la
mort de la personne qui en possède une autre, est
souvent commencé de son vivant, soit par l'obsession,
soit par l'amour. J'ai connu une jeune femme
à laquelle ses parents inspiraient une grande terreur,
et qui selivra tout a coupelle-même enversune personne
inoffensiveaux actesqu'elle redoutaitde leur
part. J'en ai connu une autre qui, après avoir pris
part àune évocationoù ils'agissait d'unefemme coupable
et tourmentée dans l'autre monde pour certains
actes excentriques, imita sans aucune raison
les actes de la femme morte. C'est à cette puissance
occulte qu'il faut attribuer l'influence redoutable
de la malédiction des parents, redoutée chez
tous les peuples de la terre, et le danger véritable
des opérations magiques lorsqu'on n'est pas
parvenu à l'isolement des vrais adeptes.
Cette vertu de transmutation sidérale, qui existe
réellement dans l'amour, explique les prodiges
allégoriques de la baguette de Circé. Apulée parle
d'une Thessalienne qui se transformait en oiseau;
il se fit aimer par la servante de cette femme pour
surprendre les secrets de sa maîtresse, et n'arriva
qu'à se changer en âne. Cette allégorie explique
les mystères les plus cachés de l'amour. Les cabalistes
disent encore que, lorsqu'on aime une femme
élémentaire, soit ondine, soit sylphide, soit gnomide,
on l'immortalise avec soit ou l'on meurt avec elle.
Nous avons vu que les êtres élémentaires sont
des hommes imparfaits et encore mortels. La révélation
dont nous parlons et qu'on a regardée
comme une fable est donc le dogme de la solidarité
morale en amour, qui est le fond de l'amour
même et en explique seul toute la sainteté et toute
la puissance.
Quelle est donc cette magicienne qui change
ses adorateurs en pourceaux et dont les enchantements
sont détruits dès qu'elle est soumise à
l'amour? C'est la courtisane antique, c'est la fille
de marbre de tous les temps. La femme sans
amour absorbe et avilit tout ce qui l'approche la
femme qui aime répand l'enthousiasme, la noblesse
et la vie.
On a beaucoup parlé dans le siècle dernier d'un
adepte accusé de charlatanisme, et qu'on nommait
de son vivant le divin Cagliostro. On sait qu'il
pratiquait les évocations et qu'il n'a été surpassé
dans cet art que par l'illuminé SchroepBer. On
sait qu'il se vantait de nouer les sympathies, et
qu'il disait avoir le secret du grand œuvre; mais
ce qui le rendait encore plus célèbre, c'était un
certain élixir de vie qui rendait instantanément
aux vieillards la vigueur et la séve de la jeunesse.
Cette composition avait pour base le vin de malvoisie,
et s'obtenait par la distillation du sperme
de certains animaux avec le suc de plusieurs
plantes. Nous en possédons la recette et l'on
comprendra assez pourquoi nous devons la tenir
cachée. "
Dogmes et rituels de haute Magie, Eliphas Lévi